02 septembre 2010

l'apport du qualitatif dans les études shopper

caddie f.jpgEn cette rentrée 2010, les élèves reprennent le chemin de l'école, et les consommateurs celui des magasins. L'occasion de faire le point sur les études shopper qu'on peut réaliser sur les lieux de vente.

La justification de ces études vient d'un constat: en situation concrète d'achat, le consommateur est sollicicité par de très nombreux stimuli: multiples produits, organisation du linéaire, packagings, prix, promotions. Réagissant un peu comme un système expert qui serait doté, en plus, de pulsions et de désirs, il est amené à arbitrer en quelques secondes des dizaines d'informations souvent contradictoires, pour décider s'il met tel ou tel produit dans le caddie. Si on l'observe et si on l'interroge à ce moment précis, il est possible de recueillir ce que Hume appelait déjà au XVIII siècle les "micro-perceptions", les micro-décisions et les micro-motivations qui passent rapidement dans le champ de la conscience, et qui s'évanouissent aussitôt. On recueille alors une richesse d'informations concrètes, tant sur les processus de décisions, que sur les forces et faiblesses d'un produit en rayon. C'est d'autant plus intéressant qu'en période de crise, l'écart entre le déclaratif et le comportement réel se creuse souvent, en donnant parfois l'impression que le consommateur se comporte  comme un système instable.

Des données quantitatives, avec des questionnaires fermés en entrée ou sortie de caisse, des comptages de la fréquentation du rayon, voire des analyses statistiques des tickets de caisse ou des comportements enregistrés par des caméras, peuvent donner des informations intéressantes, mais elles ne permettent pas de comprendre de l'intérieur la subjectivité du shopper en situation. Pour cela, les méthodes qualitatives sont incontournables, et de plus en en plus d'actualité. Elles sont multiples, à utiliser à chaque fois de manière ad hoc:

Les études qualitatives en entrée/sortie de magasin, consistent à interroger le shopper au moment où il va pénétrer dans le lieu de vente pour faire le point sur ses intentions, puis en sortie de magasin pour faire le point sur les courses effectuées, en mesurant et cherchant à expliquer les décalages éventuels qui auront été constatés. La plupart du temps, il s'agit d'entretiens individuels, mais on peut également réunir ensuite une partie de l'échantillon en réunion de groupe pour approfondir les réactions.

Les études plus ethnologiques d'accompagnement du shopper consistent à accompagner le consommateur pendant ses courses, soit de manière passive en se contentant de l'observer sans intervenir, soit de manière active en lui demandant de commenter également son comportement lorsqu'on en ressent le besoin. Cette méthodologie peut se suffire à elle-même, se coupler avec la technique précédente, ou donner lieu à de véritables enquêtes participatives qui commencent au domicile de la personne, pour revenir avec elle au foyer afin d'analyser le retour des courses. Dans ce dernier cas, elles peuvent même se coupler avec des carnets de bord d'achat et de consommation tenus sur un mois, comme nous l'avons fait dernièrement pour suivre l'impact de la crise sur les comportements alimentaires.

Les études comportementales du shopper en rayon cherchent à établir plus concrètement un diagnostic sur un produit ou une catégorie de produit, en tenant compte de l'incidence de l'organisation du linéaire et des concurrents. Pour cela, nous utilisons souvent une quadruple approche, l' OSIQ: Observation comportementale des parcours et du comportement concret face au(x) produit(s), Sémiologie du linéaire pour comprendre comment les observations recueillies renvoient éventuellement à des problèmes concrets d'organisation de l'offre, Interviews flashs du consommateur au moment où il prend ou repose un produit pour savoir ce qu'il a en tête, Questionnaire rapide pose à la sortie du linéaire pour quantifier et pondérer les résultats.

Autant de méthodologies "Shopper  Quali" qui peuvent s'utiliser selon les besoins, et qui sont d'autant plus riches qu'elles sont réalisées, non par des enquêteurs quantitatifs, mais par des psycho-sociologues connaissant et pratiquant couramment les méthodologies d'origine ethnologique. Car pour réaliser une étude sur le terrain... autant connaître le terrain !

Christian Miquel

17 mai 2010

Retour aux fondamentaux en temps de crise: comment évaluer un bon entretien individuel ?

itw.gif

Il y a maintenant plus d'un an et demi, nous évoquions sur notre blog une crise qui n'en était, selon nos analyses, qu'à ses débuts. Elle n' a cessé, depuis, de rebondir malheureusement comme prévu,  en un jeu de dominos qui est passé de la crise bancaire des crédits immobiliers et subprimes à une crise de consommation, puis récemment à la crise de la dette de certains Etats, avant de s'attaquer maintenant à la monnaie emblématique de l'euro: on avait juste oublié qu'une monnaie n'est pas qu'une valeur d'échange, mais qu'elle est aussi l'expression de rapports sociaux et d'un consensus politique... justement inexistant ! A chaque fois, cette crise qui s'attaque aux points faibles du système, témoigne bien du fait qu'il ne sert à rien de s'abriter derrière de grands principes en tentant de nier la réalité: cette dernière finit toujours par s'imposer.

Dans de telles situations de crise, qui voient un consommateur déboussolé et versatile, il faut revenir aux fondamentaux, faire preuve de créativité et de souplesse méthodologique. C'est ce que nous essayons de faire régulièrement sur ce blog, en proposant à la fois des solutions plus souples et plus économiques (notamment avec des réunions délocalisées chez le client ou sur le lieu de vente), et des méthodologies plus aptes à saisir les comportements du consommateur (que ce soit avec des observations in situ, ou avec l'intégration de la vidéo, tous deux en essor, même si nous les utilisions déjà dans les années 1980-1990)

Plus que jamais, ces méthodologies dépendent de la qualité du recueil des données, et notamment de l'art de réaliser un bon entretien individuel. Car, quelle que soit la méthode, un entretien biaisé par des questions trop directives, par des relances tendancieuses ou un manque de relance du psycho-sociologue, ou encore par une analyse bâclée, suffit pour invalider les résultats d'une étude.

Comment s'assurer, donc, que les entretiens individuels, les plus aptes à comprendre en profondeur les réactions du consommateur, sont passés dans les "règles de l'art"? Voici quelques petits conseils qui permettent de se rendre compte facilement, en cours d'étude,  de la qualité des entretiens individuels réalisés:

.Le guide d'entretien est-il bien élaboré, prévoyant d'aborder tous les thèmes, en entonnoir de du plus général au plus particulier,  sans omettre le passage quasi obligatoire de l'exploration préalable de l'univers ou du marché de référence? Un mauvais guide, tout comme le mauvais briefing, ne permettra pas de revenir en arrière...

.La personne en charge de l'entretien est-elle un(e) psycho-sociologue expérimenté(e), qui a l'habitude de travailler avec l'institut choisi? Trop souvent, des économies budgétaires seront effectuées en donnant la responsabilité du terrain d'entretiens à des enquêteurs essentiellement quantitatifs, ou à des stagiaires

.L'entretien se déroule-t-il en laissant suffisamment de silence et de non directivité, indispensables pour laisser à l'interviewé le temps nécessaire pour qu'il puisse réfléchir, approfondir son point de vue, élaborer de nouvelles pistes de réflexion allant au delà de la simple opinion?

.Les relances sont-elle faites pour comprendre le "pourquoi", de manière non directive, en reprenant les propos de l'interviewé "en miroir", sans rien induire? Rien de pire que l'interviewer qui laisse filer des jugements sans demander inlassablement pourquoi telle ou telle opinion, ou qui, pour se faire briller, reformule sans cesse les propos des interviewés en proposant ses propres interprétations ("si vous n'aimez pas, c'est donc parce que..." ). L'entretien cesse alors d'être un processus maïeutique, pour devenir  ce que nous appelons de l' "interprétation assistée par consommateur".

Quels traitements et analyses sont-ils prévus, une fois l'entretien réalisé? Il est indispensable de savoir si l'entretien donne lieu à une prise de note, et/ou à une retranscription ultérieure qui permettra de l'analyser sérieusement, avec une mise à plat thématique et une analyse individuelle. Car un bon entretien, insuffisamment ou mal analysé, passe malheureusement en pertes et profits. Méfiez-vous à ce propos des résultats livrés 48h après la fin des résultats (ce qui n'est possible qu'en sacrifiant l'analyse), tout comme ces interviewers qui ne cessent de prendre des notes pendant leur interview: le plus souvent, c'est parce qu'ils se contenteront de réaliser un résumé monographique de l'entretien, la synthèse se contentant de ce matériel et d'un débriefing hâtif.

Soyez enfin attentif aux verbatims, ces extraits d'interview livrés dans le rapport: s'ils sont quasi-inexistants, ou s'ils s'expriment uniquement sous forme télégraphique de mots rarement liés en phrase, c'est que l'analyse s'est faite sur un corpus trop réduit. A l'inverse, des verbatims complets, avec des vraies phrases, sont un gage de qualité, et vous permettent de mieux comprendre et contextualiser les  propos des gens

Veiller à la qualité des entretiens individuels, c'est s'assurer de la qualité du travail fourni. Ce qui est d'autant plus important en temps de crise, où il est plus que jamais important de s'appuyer sur des fondamentaux solides...

Pour plus de détails, voir l'ouvrage de Claire Couratier et Christian Miquel:

Les études qualitatives: Théorie, application, methodologie, pratique (L'Harmattan,2007) http://etudes.blogsmarketing.adetem.org/list/les_etudes_q...