18 mai 2009

Les études fondamentales sont encore plus nécessaires en temps de crise

Pas plus que le nuage de Tchernobyl, la crise ne s'est arrêtée aux frontières d'une France bien protégée, comme nos dirigeants politiques le laissaient espérer il y a encore quelques mois. L'entrée en récession vient même d'être officiellement annoncée, mais elle ne devrait pas durer longtemps, se hâte-t-on de nous dire, toujours aussi peu soucieux de regarder la réalité en face. Or, plus que jamais, c'est ce qu'il faut faire: en pleine tempête, la  seule solution est d'observer le vent et de faire le point encore plus souvent afin de modifier son cap au bon moment, et d'inspecter régulièrement l'état de son navire pour s'assurer qu'il tient bien le choc.

Dans le domaine des études et du marketing, on constate le même besoin de retour aux fondamentaux. A côté des méthodologies tactiques d'accompagnement dont nous avons parlé précédemment (observation in situ, groupes recentrés), l'étude fondamentale demeure plus que jamais nécessaire pour prendre du recul et pour apporter de quoi mener une véritable stratégie. Car en temps de crise et de changement important dans le comportement des consommateurs, ce qui est désormais prouvé avec une tendance à la déconsommation et l'apparition de nouveaux critères d'arbitrage, il est plus que jamais urgent de faire un point sur son marché et sur son produit, de réaliser un nouveau bilan d'image pour le comparer aux données précédentes et établir un diagnostic fiable.

L'étude fondamentale doit elle-même évoluer et prendre en compte les nouvelles données du marché. Plus que jamais, il est nécessaire de balayer l'ensemble de l'univers de référence, afin de bien distinguer ce qui relève par exemple d'une baisse globale du marché, du diagnostic des forces et faiblesses de la marque et de ses produits. Ce dernier diagnostic doit être non seulement exhaustif, incluant les éléments d'image, les motivations et freins, l'analyse du mix, des communications et de la concurrence, mais aussi le plus concret possible. C'est pourquoi, en plus des bilans qualitatifs traditionnels de marque et de marché,  nous n'hésitons pas à interroger le consommateur à son domicile avant qu'il fasse ses courses, puis après celles-ci, voire en l'accompagnant en rayon  pour analyser l'impact réel de la crise et des arbirages sur le produit ou la marque du client, en voyant comment ces derniers se comportent "en situation réelle". Le diagnostic n'en est que plus riche, permettant de dresser une carte exhaustive de la situation et de prendre les bonnes décisions stratégiques. Ainsi, aux entretiens et réunions de groupe traditionnels, aux analyses sémiologiques indispensables, il est bon d'ajouter un module d'observation des courses pour donner au pilote de la marque un maximum d'informations sur l'état de son marché,  afin de lui donner tous les moyens d'affronter les orages ou tempêtes potentielles.....

 

20 avril 2009

Nouvelles coordonnées, histoire du qualitatif (suite)

Avant un nouveau chapitre de l'histoire du qualitatif, MESSAGE IMPORTANT: merci de noter les nouvelles coordonnées de CCCM pour vos études qualitatives: Tél : 01 41 46 99 40. Et le tout nouveau site : http://www.cccmquali.fr . Nos mails: c.miquel@cccmquali.fr ; c.couratier@cccmquali.fr

Saviez-vous que les entretiens qualitatifs remontent aux années 1920? Piaget, le premier, parle en 1926 de « méthode clinique » pour présenter la technique qui consiste à établir une analyse et un diagnostic, en se basant, non sur le seul déclaratif verbal, mais sur les signes révélateurs implicitement présents dans le discours du patient. Il thématise pour la première fois l’importance de l’écoute libre de la personne interrogée, en se basant sur l’expérience qu’il a acquise au contact des enfants. En effet, il avait remarqué que si on les soumet à un questionnaire standardisé, ils parlent peu, ou alors émaillent leurs propos d’affabulations pour chercher à se faire bien voir ou à donner la bonne réponse. A l’inverse, dès qu’on les laisse parler librement, sans leur poser une question précise, non seulement ils répondent plus facilement, mais aussi de manière plus spontanée, en laissant apparaître leur personnalité et leurs motivations profondes.
En abandonnant l’hypnose, Freud apportera en plus les techniques d’écoute flottante et, surtout, d’association d’idées : non seulement il faut laisser l’interviewé parler librement, mais il faut aussi l’inciter à dérouler le fil des associations mentales qu’il peut tisser autour d’un événement. Cette technique est encore utilisée de nos jours, lorsqu’on demande par exemple à l’interviewé, avant tout avis ou jugement sur un sujet, de réagir par des évocations, par des ressentis et par des associations libres.
Le dernier principe des entretiens qualitatifs sera amené par Carl Rogers, en 1945. Il soutiendra de manière radicale que non seulement le patient doit parler librement, mais que le jeu des associations et réflexions qu’il produit au cours de l’entretien lui permet en fait d’avancer dans sa problématique et de trouver une solution ou un jugement, en dehors de toute autorité extérieure. S’appuyant sur une vision optimiste, voire utopique, de l’homme naturellement capable d’autonomie et d’auto-analyse, il énonce les principes désormais célèbres de la non directivité comme une véritable profession de foi philosophique et politique : il faut laisser la personne interrogée parler et élaborer son vécu, sans recentrage autoritaire, en permettant une « auto centration » du sujet sur lui-même.
Certes, dans les études qualitatives actuelles, il est rare d’utiliser la technique d’entretien de manière « pure » et totalement non directive, les recentrages sur le sujet de l’enquête étant nécessaires. Toutefois, l’enseignement de Carl Rogers doit toujours demeurer présent à l’esprit de l’intervieweur : il faut laisser à la personne interrogée la possibilité d’avancer dans sa propre réflexion, plutôt que de forcer l’interprétation en lui proposant des reformulations ou jugements induits. Un entretien réussi est celui qui a permis à l’interviewé de « problématiser » à sa manière le sujet, en formulant progressivement son avis, quitte à passer par des questionnements, impasses et contradictions qu’il faut laisser émerger.

L’application de ces entretiens qualitatifs à l'entreprise, a commencé très tôt, dès les années 1930. En 1929, Roethlisberger et Dickson mènent ainsi une enquête quantitative à la Westerns Electric, aux Etats-Unis, sur les conditions de la productivité de l’entreprise. Ils s’aperçoivent que, comme pour les enfants écoutés par Piaget, les réponses données à des questions fermées sont pauvres et peu fiables.
Par contre, à l’occasion du questionnaire, les ouvriers interrogés se mettent souvent à parler d’autres événements ou éléments, ces digressions leur semblant beaucoup plus riches d’enseignement. Ils abandonnent alors le questionnaire fermé, en le remplaçant par des « entretiens indirects » ou semi directifs, enregistrés sur magnétophone puis retranscris intégralement, où ils abordent le sujet, puis laissent parler librement l’interviewé, quitte à le recentrer sur des thèmes prévus à l’avance. L'entretien qualitatif appliqué à l'entreprise est né !