27 février 2011

Révoltes, effet papillon et Marketing de l'imprévisible

effet papillon.jpgLes révoltes populaires actuellement en cours dans les pays arabes nous rappellent que les réactions humaines, tout comme l'avenir, demeureront toujours imprévisibles. Quasiment personne n'avait prévu la crise économique mondiale qui a éclaté il y a un peu plus de deux ans, et à part l'hypothèse d'une révolte possible de la faim dans les pays du Sud, personne n'aurait pû imaginer non plus que la révolte déclenchée par l'augmentation du prix du pain en Tunisie allait se propager auprès de jeunes diplômés condamnés au chômage, puis à l'ensemble de la population, en se diffusant ensuite dans les pays voisins - au point de balayer finalement des dictatures et des régimes autoritaires installés depuis plus de 30 ans. Et ce n'est probablement pas fini! Merveilleux exemple de l'imprévisibilité de la liberté humaine et de l'effet papillon, qui à partir d'un battement d'aile à priori insignifiant, peut perturber l'environnement, créer une onde invisible qui déclenchera plus tard des événements majeurs et inattendus.

Une leçon qu'il est peut-être temps d'intégrer dans notre vision du Marketing et des études, parfois conçus de manière trop prédictive comme une manière sûre d'anticiper et de prévoir les réactions du consommateur. Or, les études ne peuvent jamais avoir ce rôle prédictif, sans intégrer un facteur d'imprévisibilité et d'incertitude. Souvenons-nous du nombre de sondages politiques finalement  démentis par les urnes, des nouveaux produits supposément promis à un brillant succès puis aussi rapidement retirés du marché, et des innovation qui à l'inverse ont fini par s'imposer sur des cibles et des usages non prévus à l'avance.

Cela ne signifie pas que les études se sont forcément trompées, mais plus simplement que le consommateur conserve une liberté d'action et de choix final.  Le principe d'incertitude ne règne pas que dans la physique quantique, mais aussi dans les sciences humaines et les études. Même si on peut essayer d'anticiper les réactions du consommateur, rédiger des cahiers de charges pointus qui permettront de lui proposer le mix le plus apte à le séduire, il conservera toujours sa liberté et la possibiité de réaliser, à son micro-niveau, un petite révolution dans ses envies et ses habitudes de consommation. Surtout dans la pèriode actuelle d'incertitude économique qui l'amène à être plus versatile que jamais, à arbitrer fréquemment entre différentes offres, à hiérarchiser entre les achats indispensables et les achats de plaisir pour lesquels il consentira plus facilement un sacrifice supplémentaire.

Pour intégrer cette part d'imprévisibilité dans les études, les méthodologies doivent désormais intégrer le paradigme de la complexité cher au sociologue Edgar Morin. Pour mieux cerner les réactions possibles du consommateur, il vaut mieux l'aborder en effet dans toute sa complexité, sans outil ou éclairage unique, en variant les approches selon les problématiques : les entretiens qualitatifs pour mieux cerner ses motivations et freins individuels, les réunions de consommateurs/clients pour intégrer la pression du groupe et le regard social, les observations comportementales et le "quali shopper" pour comprendre en profondeur son comportement sur les lieux de vente, les études participatives à visée ethnologique pour intégrer son environnement culturel et familial, le vidéo-journal pour le faire participer activement et de manière nouvelle à la recherche.

Plus que jamais, face à la complexité du consommateur et à la multiplicité des outils qualitatifs, le rôle de l'institut d'études est de conseiller et de discuter avec le client pour savoir quels outils privilégier, et souvent associer pour aboutir à des analyses et à des conclusions plus fines.

Cette richesse méthodologique doit aller de pair avec une capacité d'analyse qui tienne compte de la complexité et de la variété des outils utilisés, en  mettant en rapport les différents types d'éclairage et de méthodologies mobilisées. Car l'individu qui nous intéresse est tout à la fois un sujet désirant soumis à la tentation et à la séduction, un shopper qui arbitre rationnellement avec des raisonnements parfois dignes d'un cost-killer, un consommateur cherchant des bénéfices pratiques et gustatifs pour son foyer, et un citoyen soucieux d'écologie ou de toute autre valeur.

Pour comprendre et synthétiser ces différentes facettes, la meilleure solution est encore de s'imprégner du terrain, en l'accompagnant dans ses différentes phases. Le temps est probablement révolu de ces Directeurs d'études qualitatives qui sous-traitaient le terrain et l'analyse, en se contentant derrière leur bureau de synthétiser les résultats fournis par d'autres; ils apparaitront probablement dans quelque temps aussi désuets et archaïques que des ethnologues qui se contenteraient de documents rapportés par d'autres, sans jamais aller sur le terrain!

L'impact de la complexité et de l'imprévisibilité du consommateur amène enfin à changer la nature des préconisations et des conclusions habituelllement fournies à l'issue d'une étude. Le temps du cabinet-gourou, du directeur d'études capable d'indiquer "LA" bonne voie et la seule solution possible semble lui aussi définitivement remis en cause, même si c'était plus rassurant et probablement plus confortable pour certains clients!

C'est ainsi que nous avons pris l'habitude, le plus souvent, de présenter nos préconisations sous forme de deux ou trois scénarios possibles, en essayant de montrer les avantages et les facteurs de risque de chaque solution, avec un nouveau rôle de conseil et d'éclairage des différentes possibilités. En ces temps d'incertitude, c'est probablement la meilleure manière de remplacer l'illusoire préconisation univoque et déterministe, en proposant à la place une véritable aide à la décision, capable de repérer les opportunités gagnantes, tout en étant conscient des limites et des risques inhérents à chaque solution. C'est ainsi que nous espérons contribuer à un nouveau Marketing d'autant plus performant et pointu, qu'il abandonne son ancienne aura de prédictibilité déterministe...

10 novembre 2010

L'évolution des études: conseil, coaching et créativité

horizon, sodpme et ghomore.jpgLe SEMO 2010 auquel nous avons participé et où nous avons peut-être eu la chance de vous rencontrer, ainsi que le dernier dossier Etudes de CB News, confirment l'évolution que nous avons constatée depuis plusieurs années: fort heureusement, les études ne s'orientent plus vers le lancement de nouveaux outils gadgets, mais vers une recherche de valeur ajoutée d'intelligence et de conseil. Qu'entendons-nous exactement par ces mots ?

Rappelons que dans une première période, on demandait aux instituts de livrer des données brutes, le client se réservant la capacité de les analyser et d'en tirer les conclusions opportunes. Si c'est de plus en plus rare, on note toutefois, avec la crise actuelle, des résurgences ponctuelles de ce type de demande. C'est ainsi que pour des raisons économiques ou par nécessité de prendre rapidement une décision "pour action", certains clients peuvent nous demander parfois de s'occuper juste du recrutement, des entretiens et de l'animation, en s'occupant des analyses et des conclusions.

Dans une seconde phase, on attendait d'un institut qu'il apporte une plus-value d'explication des opinions émises et des comportements constatés. En qualitatif, cela amène à juger des instituts sur leur capacité à aller au delà du déclaratif des entretiens individuels ou des réunions de groupe, en faisant ressortir des facteurs latents, des éléments d'image symboliques, des motivations et des freins plus ou moins inconscients. Dans ce cas de figure, encore fréquent aujourd'hui, même si le rapport d'étude fournit des conclusions concrètes, le client ne souhaite pas forcément que l'institut aille au-delà de ce rôle d'éclairage. Il  peut en effet préférer se réserver les préconisations concrètes en pensant qu'elles ne doivent pas contaminer l'analyse de l'institut, ou juger qu'elles sont du seul ressort de son Agence lorsque cette dernière lui fournit une prestation de conseil.

Avec la crise, on souhaite que l'institut participe davantage, en donnant également des conseils et des recommandations, en apportant sa propre connaissance du marché et du consommateur, en plus de ses analyses et de ses explications. Plusieurs raisons expliquent cette évolution: le client a de moins en moins de temps à consacrer à chaque dossier, il doit prendre des décisions de plus en plus rapides, avec des effets opérationnels visibles ; parallèlement, le consommateur est devenu versatile et multi-facettes, il se comporte souvent comme un système instable en informatique, des données fiables étant de plus en plus difficiles à recueillir et à réunifier dans une vue cohérente. D'où le besoin de l'aborder avec des méthodologies multi-facettes, avec selon les cas des méthodes ethnologiques sur le point de vente, un vidéo-journal et des carnets de bord à domicile, des entretiens ou réunions de groupe lorsque c'est nécessaire, voire du recueil on-line. Le nouveau rôle de l'institut est non seulement de conseiller parmi les multiples outils et approches désormais possibles, mais aussi de réunifier les différents éclairages souvent divergents, de dégager les grandes lignes de conclusion, de se "mouiller" en proposant des conseils et des préconisations concrètes qui s'inscrivent dans une vision d'ensemble cohérente -voire d'accompagner le changement en apportant un véritable suivi du conseil. C'est pourquoi, après des contrats à l'année qui servaient uniquement, il y a quelques années, à diminuer les frais de chaque étude, on voit désormais apparaître des contrats à l'année incluant un temps de conseil en amont, et un temps de suivi en aval.

innovation(2).jpgEn qualitatif, l'institut évolue ainsi vers un rôle de partenariat et de "coaching" qui peut déborder les frontières traditionnelles des études, en allant par exemple vers le consulting et l'aide à l'innovation. De nombreux consultants sont venus nous voir au Semo pour nous demander comment intégrer, en plus de leur benchmark, dans leur audit et/ou avant leurs conseils concrets, des phase de bilan et d'étude. Là encore, il s'agit moins de leur livrer des données brute que d'intervenir dans un véritable partenariat, la démarche d'étude venant nourrir une réflexion commune qui se fait à trois: institut, client, consultants.

De même, la prise en considération du consommateur, non plus comme un simple objet passif qu'on analyse de l'extérieur, mais comme un véritable acteur et sujet qui participe à la recherche, par exemple en réalisant et faisant évoluer son vidéo journal ou en fournissant des idées d'amélioration d'un service ou produit sur plusieurs semaines, amène à nourrir de nouvelles phases de créativité et de recherche en innovation. Les recherches d'insight à partir de résultats d'étude ont été le premier signe de cette évolution, puisqu'on comprenait pour la première fois qu'une véritable innovation ne pouvait se faire qu'en étant à l'écoute active des visions du consommateur. Car contrairement aux idées reçues qui veulent réserver les inventions aux seuls créatifs d'agence ou aux grands génies solitaires, lorsqu'on sait suivre le consommateur et amorcer avec lui une recherche créative, cela peut se révéler à la source de milliers d'innovations pertinentes. C'est ce qu'affirment avec force des auteurs américains comme Karim Lakhani de la Harvard Business School, ou encore Chris Andersen et le mouvement "do it yourself" , qui traquent l'intelligence collective des consommateurs pour trouver les innovations de demain.

Création d'un véritable lien de partenariat entre le client et les études, extraction d'une intelligence des études comme il existe une intelligence économique et sociale, coaching et suivi de la problématique du client: tels sont les nouveaux visages passionnants qui attendent notre métier, sans parler de son extension vers le consulting et la créativité d'innovation, pour ne parler que de ces nouveaux territoires !