12 février 2009
Histoire du qualitatif, suite: les analyses sociales du 19°-20°
Reprise de notre brève histoire des études qualitatives, comme promis, en sautant des siècles pour en arriver à notre monde moderne !
Les premières enquêtes sociales apparaissent à la fin du XIX, quand des médecins, des fonctionnaires responsables de cas sociaux, et des prêtres, s’intéressent aux classes défavorisées pour mieux les comprendre et les aider. Ces précurseurs des travailleurs sociaux se déplacent seuls ou en paires, comme les anciens « missi dominici » de Charlemagne (cf notes précédentes), en se faisant parfois accompagner de commissaires de police. Face aux réticences des pauvres à se soumettre à leurs questions, ils se mettent à réfléchir aux méthodes qui leur permettraient de mieux recueillir des informations pertinentes. Ainsi Le Play, en 1862 (in « Instructions sur la méthode d’obtention dite des monographies de famille »), remarquera qu’en plus de noter simplement les faits et observations auxquelles il se livre, l’enquêteur a tout intérêt à gagner la confiance du foyer dans lequel il a pénétré, en laissant parler librementles enquêtés , quitte à accepter des digressions et des thèmes non prévus. « Mieux vaut écouter qu’interrompre » écrira-t-il. Pour la première fois, apparaissent également les « monographies familiales » invitant à tracer le portrait complet d’une famille.Entre 1889 et 1899, l’enquête sociale se fait exhaustive, avec une première recherche de Charles Booth sur les pauvres de Londres (1889 à 1891), puis avec l’enquête de Du Bois en 1899 qui réalise la première analyse complète de la communauté noire de Philadelphie. Il allie pour cela l’étude documentaire, statistique, avec des entretiens non directifs, et avec l’observation participante qui l’amènera à s’installer au milieu du quartier noir étudié.
Au début du XX°, ces enquêtes sociales vont devenir de véritables enquêtes anthropologiques. En 1916, Park, l’un des fondateurs de l’école de Chicago, affirme le pemier que les techniques utilisées par les ethnologues recensant les us, coutumes, croyances et pratiques des indiens d’Amérique du Nord, doivent pouvoir servir de la même manière à étudier les mœurs et modes de vie de quartiers urbains aussi dissemblables que le Greenwich Village populaire, la Little Italy immigrée, ou le quartier plus huppé de Washington Square à New York.
Un nouveau pas est franchi dans les années 1930 lorsque le même Park, associé à Thomas, va fonder dans les années 1930 la célèbre Ecole de Chicago qui privilégiera et thématisera le rôle des enquêtes qualitatives sur le terrain. Reprenant l’ensemble des techniques déjà citées (documentaires, statistiques, observations, entretiens, éclairage ethnologique), ces deux auteurs démontreront que l’ensemble des techniques qualitatives peut s’appliquer, non seulement à des « faits globaux et collectifs », mais aussi à des « micro-collectivités ». Ils prôneront l’analyse de la vie quotidienne des populations concernées, la recherche de leur mode de vie et de leur système de croyances, qu’il faut à chaque fois re-situer dans leur cadre et dans leur environnement habituel. Cette école aura un grand succès pendant la grande dépression des années 30, car les éclairages qualitatifs se contentent de quelques enquêteurs–observateurs pour comprendre un phénomène, et s’avérent moins chers que les recensements statistiques et quantitatifs. Une leçon à méditer en ces temps difficiles...
Elle disparaîtra quasiment des Etats-Unis après la guerre, mais aura eu le temps auparavant de se transmettre en France, en étant à l’origine du qualitatif approfondi « à la française » sur lequel nous reviendrons dans une prochaine note...
19:02 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cccm qualitatif, études qualitatives, claire couratier, christian miquel, adetem, études, enquêtes
03 février 2009
Tendances Marketing et cosmétique
Les conférences fort intéressantes qui ont eu lieu à l'occasion du lancement du club Marketing de la cosmétique par l'Adetem la semaine dernière illustrent merveilleusement le fait que, tout en vivant dans un univers mondialisé, les situations et les logiques sont très diverses.
Ainsi François Arpels (Arpels Corporate finance) rappela-t-il dans son intervention sur le marché indien de la cosmétique en émergence, que le faible pouvoir d'achat des habitants et leur habitude de se fabriquer eux-même leurs propres produits cosmétiques à base d'ingrédients naturels a longtemps été un frein, les échantillons des grandes marques étant vendus dans les boutiques comme des produits de luxe. Parmi eux, les rouge à lèvre et les produits éclairicissant la peau continuent à être les plus demandés.
Changement radical d'univers avec Pascale Brousse (Trend Sourcing), de retour des Etats-Unis où elle confiait que la crise a déjà frappé durement les industries du luxe qui régissent par exemple en organisant des distributions de cosmétiques gratuits à New york. Les deux tendances sur le marché sophistiqué et en pleine maturité des Etats Unis concernent le Bio et le Techno. En expansion, le bio qui devrait passer de 3% à 17% en devenant un phénomène de masse qui ne s'adresse plus qu'aux seuls hédonistes et interventionistes animés par le mythe de l'éternelle jeunesse, se caractérise par l'intégration de nouveaux éléments: la recherche d'une texture et d'une odeur à bonifier pour pallier aux déficits actuels, le bilan carbone, la promesse "sans" éléments nocifs, sans parler de la bataille des labels. La seconde tendance technologique qui donne la prime à l'efficacité grâce à de nouveaux appareillages techniques, est également en pleine expansion, avec sa cohorte d'innovations impressionantes: les produits anti-âge comme le botox, la cosmétique chimique avec le laser à la maison ou les ondes magnétiques, le skin dating annuel qui vous promet le check up annuel de votre peau en 3D pour prescrire les produits les plus adaptés, la cosméto-génétique qui veut les adapter à vos gênes, la colle ou scotch biologique qui considère qu'une ride est comparable à une cicatrice à faire disparaitre, sans parler des implants ou patchs de bronzage qui seront valables pendant un an. Tous ces phénomènes tendent à développer une nouvelle approche de la cosmétique, le produit n'étant plus acheté comme un objet isolé sur son rayon, mais devant s'intégrer dans un bilan et un projet global de soin, voire lors de son passage dans un magasin de remise en forme qu'il vient alors compléter. On voit même apparaitre des produits qu'on peut se mettre sur la peau et qu'on peut aussi manger, puisque ce qui fait du bien sur le dessus doit forcément faire aussi du bien à l'intérieur... On est loin de la situation indienne, toute la problématique pour le futur étant selon Pascale Brousse de savoir si ces deux tendances bio et techno vont continuer à évoluer en parallèle, s'opposer, ou se croiser comme on le voit avec le lancement de produits bio incluant des végétaux superactifs...
Changement de préoccupation avec l'intervention de Michel Gutsatz (The Scriporium Company), qui prédit l'arrivée inéluctable en cosmétologie de marques et d'enseigne de distributeurs qui devraient, sur le modèle du food, imposer un nouveau modèle et réseau de distribution. Outre l'importance de la crise actuelle, l'angoisse des consommateurs alliée aux contraintes budgétaires et à un comportement d'expert de plus en plus exigeant, expliquent la sensibilité à des offres MDD souvent aussi efficaces que les produits de grande marque. Michel Gutsatz explique ensuite la stratégie de ces nouvelles marques aux Etats-Unis: sur les marchés de niche, elles s'implantent par une politique de cobranding en s'associant à des gens célèbres, ou en lançant des marques bio signées par l'enseigne. Sur le coeur de gamme, elles se construisent frontalement comme une marque nationale et transversale, avec une politique et une cohérence forte de gamme.
Emergence d'un nouveau marché en Inde, sophistication extrême du marché avec un narcissisme bio et techno aux Etats-Unis, attaque frontale des marques Distributeur tentées de profiter de la crise: quelle meilleure illustration de la multiplicité des situations au sein de notre monde ? D'où la nécessité de pratiquer un Marketing et des Etudes multipolaires, plus que jamais à l'affût de la diversité et de la multiplicité de tendances variées, souvent opposées...
15:46 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marketing, cosmétique, cosmétologie, etudes, études, enquêtes, études qualitatives