17 mai 2011
Marketing, études, et pouvoir des images à l'aune de Ben Laden et DSK
Quel rapport y-a-til entre la mort de Ben Laden, et la comparution de DSK devant le juge à New York? A priori aucun: l'un était le terroriste le plus recherché de la planète, l'autre l'une des personnalités françaises et internationales les plus en vue, prétendant implicite à la Présidence de la République Française avant son arrestation sous l'accusation de tentative de viol.
Pourtant, les deux événements se sont télescopés pour faire la une des médias, à quelques dizaines de jours d'intervalle, avec la même rediffusion vertigineuse et nauséeuse des images en boucle, chassant toute autre information. Destin des idoles médiatiques, serait-on tenté de se dire à première vue: qu'elles soient dans le camp du Mal, ou dans le camp supposé du Bien, toute idole qui a servi à alimenter les médias jusqu'à plus soif, est menacée de finir un jour en pâture médiatique.
La fascination pour ces deux scènes provient probablement du fait que leur traitement des images relève d'une même "triangulation du voyeur": nous sommes, comme spectateurs, situés "hors champs", singulièrement appelés à regarder, de biais et comme par infraction, une scène étrange et interdite qui se passe entre deux autres personnages ou groupes. Dans un cas, nous regardons l'équipe d'Obama réunie à la maison Blanche en train de regarder en direct l'écran où ils assistent à l'assaut; dans l'autre cas, nous visionnons, toujours en position extérieure et tierce, la scène du tribunal habituellement interdite aux caméras en France, en assistant en direct à l'échange qui se déroule entre le juge, le procureur et l'avocat de DSK. A chaque fois, c'est la même position de voyeur que Baudrillard qualifiait, à juste titre, d' "obscène".
Les différences dans le contenu de l'image montrée sont tout fascinantes. Dans le cas de Ben Laden, qui incarnait la figure du Mal , l'objet même du délit demeure étrangement absent: le spectateur convié en voyeur à la scène de la Maison Blanche n'a pas le droit de voir ce que les maîtres de la planète regardent sur l'écran: nous ne voyons aucune image du terroriste le plus recherché au monde, ni pendant l'assaut, ni après, son cadavre subtilisé à la vue de tous disparaissant et étant officiellement jeté en mer pour ne point être retrouvé, avec tous les risques que cela implique pourtant de le transformer en martyr ou en "prophète invisible".
Dans le cas de DSK, l'un des hommes les plus puissants et des plus influents du FMI, le spectateur est au contraire à se repaître des images humiliantes d'un accusé blême, menotté, défait, comme pour mieux rappeler au peuple qu'il a, par contre, le droit de se réjouir de la chute des idoles qui enfreignent la Loi en s'attaquant à des victimes anonymes et innocentes. Ainsi la morale est-elle sauve, et la preuve apportée que le traitement de l'image par " triangulation du voyeur" peut, selon les cas, autant amener à cacher une partie de la scène considérée comme devant rester secrète, qu'à dévoiler les travers et les défauts d'un accusé.
Quel enseignement en tirer pour les études et le marketing? A notre époque où la vidéo devient l'un des outils intéressants du receuil de données, que ce soit sous forme de vidéo d'observation, de vidéo participative ou de vidéo-journal tels que nous les pratiquons couramment à CCCM, il faut rappeler que l'image n'est jamais neutre: elle donne toujours à voir les choses sous un certain angle, en en cachant par définition d'autres qui se trouvent en arrière champ, ou hors champ ; d'où l'intérêt de multiplier justement les angles de vue et les approches méthodologiques, sans se contenter exclusivement de la vidéo, dans une perspective multi-disciplinaire.
L'analyse même des images par un institut, le montage des scènes filmées et leur présentation finale au client, doit pour cela répondre à un souci d'objectivité et de déontologie stricts. C'était déjà le cas pour le choix des verbatims ou citations des interviewés, qu'il fallait savoir équilibrer pour éviter de monter un dossier d'étude tendancieux ou orienté, que ce soit vers les souhaits du client, ou vers les idées à priori du Directeur d'études. C'est encore plus vrai dans le cas d'une sélection d'images qui ont une force décuplée, un pouvoir de persuasion encore plus fort, notamment en interne, au sein d'une entreprise...
10:07 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marketing, études qualitatives, enquête, vidéo, images, obama, ben laden, dsk, adetem, sociologie, observation
27 février 2011
Révoltes, effet papillon et Marketing de l'imprévisible
Les révoltes populaires actuellement en cours dans les pays arabes nous rappellent que les réactions humaines, tout comme l'avenir, demeureront toujours imprévisibles. Quasiment personne n'avait prévu la crise économique mondiale qui a éclaté il y a un peu plus de deux ans, et à part l'hypothèse d'une révolte possible de la faim dans les pays du Sud, personne n'aurait pû imaginer non plus que la révolte déclenchée par l'augmentation du prix du pain en Tunisie allait se propager auprès de jeunes diplômés condamnés au chômage, puis à l'ensemble de la population, en se diffusant ensuite dans les pays voisins - au point de balayer finalement des dictatures et des régimes autoritaires installés depuis plus de 30 ans. Et ce n'est probablement pas fini! Merveilleux exemple de l'imprévisibilité de la liberté humaine et de l'effet papillon, qui à partir d'un battement d'aile à priori insignifiant, peut perturber l'environnement, créer une onde invisible qui déclenchera plus tard des événements majeurs et inattendus.
Une leçon qu'il est peut-être temps d'intégrer dans notre vision du Marketing et des études, parfois conçus de manière trop prédictive comme une manière sûre d'anticiper et de prévoir les réactions du consommateur. Or, les études ne peuvent jamais avoir ce rôle prédictif, sans intégrer un facteur d'imprévisibilité et d'incertitude. Souvenons-nous du nombre de sondages politiques finalement démentis par les urnes, des nouveaux produits supposément promis à un brillant succès puis aussi rapidement retirés du marché, et des innovation qui à l'inverse ont fini par s'imposer sur des cibles et des usages non prévus à l'avance.
Cela ne signifie pas que les études se sont forcément trompées, mais plus simplement que le consommateur conserve une liberté d'action et de choix final. Le principe d'incertitude ne règne pas que dans la physique quantique, mais aussi dans les sciences humaines et les études. Même si on peut essayer d'anticiper les réactions du consommateur, rédiger des cahiers de charges pointus qui permettront de lui proposer le mix le plus apte à le séduire, il conservera toujours sa liberté et la possibiité de réaliser, à son micro-niveau, un petite révolution dans ses envies et ses habitudes de consommation. Surtout dans la pèriode actuelle d'incertitude économique qui l'amène à être plus versatile que jamais, à arbitrer fréquemment entre différentes offres, à hiérarchiser entre les achats indispensables et les achats de plaisir pour lesquels il consentira plus facilement un sacrifice supplémentaire.
Pour intégrer cette part d'imprévisibilité dans les études, les méthodologies doivent désormais intégrer le paradigme de la complexité cher au sociologue Edgar Morin. Pour mieux cerner les réactions possibles du consommateur, il vaut mieux l'aborder en effet dans toute sa complexité, sans outil ou éclairage unique, en variant les approches selon les problématiques : les entretiens qualitatifs pour mieux cerner ses motivations et freins individuels, les réunions de consommateurs/clients pour intégrer la pression du groupe et le regard social, les observations comportementales et le "quali shopper" pour comprendre en profondeur son comportement sur les lieux de vente, les études participatives à visée ethnologique pour intégrer son environnement culturel et familial, le vidéo-journal pour le faire participer activement et de manière nouvelle à la recherche.
Plus que jamais, face à la complexité du consommateur et à la multiplicité des outils qualitatifs, le rôle de l'institut d'études est de conseiller et de discuter avec le client pour savoir quels outils privilégier, et souvent associer pour aboutir à des analyses et à des conclusions plus fines.
Cette richesse méthodologique doit aller de pair avec une capacité d'analyse qui tienne compte de la complexité et de la variété des outils utilisés, en mettant en rapport les différents types d'éclairage et de méthodologies mobilisées. Car l'individu qui nous intéresse est tout à la fois un sujet désirant soumis à la tentation et à la séduction, un shopper qui arbitre rationnellement avec des raisonnements parfois dignes d'un cost-killer, un consommateur cherchant des bénéfices pratiques et gustatifs pour son foyer, et un citoyen soucieux d'écologie ou de toute autre valeur.
Pour comprendre et synthétiser ces différentes facettes, la meilleure solution est encore de s'imprégner du terrain, en l'accompagnant dans ses différentes phases. Le temps est probablement révolu de ces Directeurs d'études qualitatives qui sous-traitaient le terrain et l'analyse, en se contentant derrière leur bureau de synthétiser les résultats fournis par d'autres; ils apparaitront probablement dans quelque temps aussi désuets et archaïques que des ethnologues qui se contenteraient de documents rapportés par d'autres, sans jamais aller sur le terrain!
L'impact de la complexité et de l'imprévisibilité du consommateur amène enfin à changer la nature des préconisations et des conclusions habituelllement fournies à l'issue d'une étude. Le temps du cabinet-gourou, du directeur d'études capable d'indiquer "LA" bonne voie et la seule solution possible semble lui aussi définitivement remis en cause, même si c'était plus rassurant et probablement plus confortable pour certains clients!
C'est ainsi que nous avons pris l'habitude, le plus souvent, de présenter nos préconisations sous forme de deux ou trois scénarios possibles, en essayant de montrer les avantages et les facteurs de risque de chaque solution, avec un nouveau rôle de conseil et d'éclairage des différentes possibilités. En ces temps d'incertitude, c'est probablement la meilleure manière de remplacer l'illusoire préconisation univoque et déterministe, en proposant à la place une véritable aide à la décision, capable de repérer les opportunités gagnantes, tout en étant conscient des limites et des risques inhérents à chaque solution. C'est ainsi que nous espérons contribuer à un nouveau Marketing d'autant plus performant et pointu, qu'il abandonne son ancienne aura de prédictibilité déterministe...
18:29 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : études, qualitatif, marketing, réunions, adetem, conseil, enquêtes, tendances, innovation, recherche, consulting, morin, révoltes arabes