04 décembre 2008
METHODOLOGIES EN TEMPS DE CTRISE, suite: LES REUNIONS DE GROUPE
Deuxième volet de notre réflexion sur l’adaptation des méthodologies d’étude en temps de crise, en s’intéressant cette fois-ci aux réunions de groupe, dont les coûts de recrutements et de locations de salle ont connu une surenchère constante, et dont la fiabilité implique de ne jamais pouvoir se contenter d'une seule réunion. Rappelons en effet que dans 75% des cas, un second groupe réalisé sur le même sujet donne une opinion significativement différente du premier groupe témoin !
Delphine Dion rappelle (in La revue des marques, octobre 2008) qu'un autre biais structurel des groupes est de réunir artificiellement des consommateurs dé-contextualisés dans un lieu étranger, en leur demandant ensuite de reconstituer abstraitement, et sous le regard jamais neutre d'autrui, leur vécu et les raisons de leur comportement. En invitant de plus les clients à les regarder derrière une glace sans teint comme dans un aquarium, elle fait remarquer avec humour qu’on reconstitue inconsciemment le modèle de ce que Malinowski appelait l’ « ethnologie de véranda » des coloniaux qui invitaient les bons sauvages à venir leur parler sur leur terrasse de leur vécu et de leurs croyances, sans se douter de l’aspect artificiel de la situation.
Et si on passait de ces « réunions de véranda » à des «réunions sur le terrain» comme l’ont fait les ethnologues ? On peut s’inspirer pour cela des chercheurs en Sciences sociales de l’école de Chicago (objet de notre prochaine note). Rappelons qu’ils ont connu lors de la grande crise des années 1930 un grand succès en proposant, en alternative aux enquêtes quantitatives ou qualitatives lourdes et chères, de revenir à l’observation, en menant notamment des réunions dans le lieu où vivaient les communautés qu’ils analysaient.
De nos jours, on peut de la même manière choisir d’organiser certains focus groupes chez les clients ou consommateurs, afin d’analyser « in situ » comment les gens d’un même milieu ou entourage parlent et échangent sur le produit concerné et sur ses concurrents. De cette manière, les propos obtenus sont plus authentiques, correspondent plus à ce que se disent les « vrais gens » entre eux.
Concrètement, cela revient à organiser, sur une durée de 2 heures, plusieurs mini-réunions de 5 personnes, en choisissant une personne-ressource qui va inviter chez elle des gens de son entourage non familial, dont elle donne les coordonnées et qui sont contactées par l’institut pour vérifier les quotas. Il peut s’agir d’utilisateurs du même produit, ou plus intéressant de produits de marques concurrentes, dont ils parlent et qu’ils peuvent être amenés à utiliser en cours de réunion de manière concrète, en situation, en confrontant leurs différences. La réunion se fait chez la personne-ressource, dans son salon ou autour d’une table, dans une ambiance décontractée et habituelle, l’animateur introduisant de manière plus naturelle les différents stimuli et inputs prévus.
L'interview préalable au groupe constitue également une alternative quand on ne peut réaliser deux phases successives d'entretien et de groupe. Pour éviter les biais d'un discours décontextualisé et influencé par autrui, il est en effet possible de faire venir les participants au groupe de manière légèrement décalée et d'en profiter pour les interroger de manière individuelle en profondeur pendant dix à quinze minutes, de façon notamment à recueillir toutes leurs pratiques, leur factuel de consommation ou d'usage personnel et au foyer, voire leurs premières motivatons et freins, autant de ssujets toujours très pauvres et sujets à caution en groupe.
Cette phase d'entretien préalable peut se faire grâce à un questionnaire auto-administré pour les questions factuelles, ou par un mini entretien individuel pour les analyses de motivation et de frein. Elle a le double avantage de recueillir un matériau plus fiables qu'en groupe, et de re-contextualiser inconsciemment le participant en l'amenant à revoir ses pratiques et habitudes juste avant de commencer le groupe.
14:56 Publié dans Méthodes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : études, qualitatives, qualitatif, enquêtes, sondage, méthodologie, terrain
19 novembre 2008
Un peu d'histoire: Les missi dominici, précurseurs du quali...
Comme promis, un petit retour historique! Le retour à l'observation et à l'interview informel sur le terrain dont nous parlions dans la note précédente renoue avec les origines. Au Moyen-Age, rappelons en effet que Charlemagne, décidant de réorganiser son Empire, fixe sa capitale à Aix la Chapelle, divise le territoire en contés et en diocèses. Pour s’assurer du bon fonctionnement de sa nouvelle organisation, il envoie régulièrement des « missi dominici » (ou « envoyés du maître »), qui ne dépendent que de son autorité. En plus de leur mission politique qui consiste à transmettre ses ordres et à s’assurer qu’ils sont bien exécutés, ils reçoivent une fonction « d’enquête » nouvelle : ils doivent, comme des visiteurs mystère, observer ce qui se passe, s’intéresser à ce que disent et pensent les gens dans les tavernes et autres lieux publics, enquêter sur les problèmes et les injustices éventuelles qui risquent de déstabiliser le pays.
Ils fixent de nouvelles règles méthodologiques encore en vigueur pour s'assurer de la fiabilité du recueil d’information : probablement conscient de la partialité, même involontaire, des observateurs qu’il envoie, Charlemagne prend l’habitude de les dédoubler et les oblige à fonctionner par couple. Ils ne doivent accorder d'importance à un fait ou à une rumeur, qu'en recoupant leurs sources et s'assurant qu'ils sont plusieurs fois confirmés. Enfin, ils sont les premiers à formaliser le principe de la confidentialité: puisque, par principe, les missi dominici ont pour fonction d’écouter et de susciter la confiance, ils peuvent et doivent garder leurs sources secrètes. Avec les « missi dominici », les enquêtes prennent ainsi un nouveau sens : en se mettant au service d’un puissant, elles servent à prendre le pouls d’une population, à repérer les problèmes et sources d’insatisfaction, mais aussi les dysfonctionnements du système ; elles créent un nouveau rôle « d’informateur » qui doit permettre aux renseignements de remonter jusqu’aux décideurs.
On devine comment cette inflexion de « l’enquête historique » en « enquête politique » va être à l’origine de toute une lignée d’informateurs, espions et polices secrètes qui viendront, jusqu’à Fouchet et Talleyrand, aider le gouvernement en lui faisant part des insatisfactions, des problèmes du peuple, des complots et activités potentiellement dangereuses. Plus tard, les Etats Généraux et les Cahiers de doléances qui inviteront, juste avant la Révolution, le peuple français à s’exprimer, constitueront un nouvel exemple d’enquête « grandeur nature », avec tous les risques que cela comporte puisque, loin d’apaiser la situation, cette prise de parole débouchera sur le renversement du pouvoir royal !La semaine prochaine, après les techniques d'observation et d'entretien, nous nous intéresserons aux réunions de groupe en temps de crise...
13:08 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)