05 juillet 2010
Le nouveau consommateur en temps de crise, entre arbitrage rationnel et émotion
Les vacances approchent, mais la crise, loin de reculer, s'apprêterait selon de nombreux spécialistes à repartir de plus belle à la rentrée, en suivant un cycle en "w": après le pic de l'automne 2008, puis une timide reprise provoquée par des soutiens financiers massifs, elle rebondirait pour un nouveau tour, à la fois à cause d'une absence de solution globale depuis deux ans, et à cause de l'endettement de plus en plus préoccupant des Etats.
Même si le mot de rigueur est toujours tabou, les Français ont bien compris qu'ils allaient devoir se serrer la ceinture. Tel est le premier constat avec lequel il va falloir vivre: les clients et les consommateurs seront de plus en plus amenés à arbitrer entre leurs dépenses, certains pouvant même être tentés par une dé-consommation volontaire. D'où la mise en place de nouveaux comportements et de nouvelles valeurs, que nous avons pu analyser lors d'une étude sur les changements de comportement alimentaires d'un échantillon de Français touchés par la crise.
Cela ne signifie pas que les achats plaisir, voire les achats gadgets, vont disparaître: les succès de l'i-pad et de l'i-phone 4 , malgré leurs défauts, témoignent bien du fait que les consommateurs peuvent se priver sur certains postes pourtant jugés indispensables, pour accéder au dernier gadget qui leur permettra de récupérer un peu de valorisation et d'estime de soi. Car, parallèlement aux arbitrages rationnels, on assiste à un besoin viscéral de réassurance émotionnelle, pour répondre aux angoises de la crise. D'où l'intérêt des méthodes d'investigation qualitatives les plus aptes à saisir cette sphère subjective et émotionnelle, que ce soit par des entretiens et des groupes, par des observations participantes, par la vidéo ou le vidéo-journal intime, tenu par les participants eux-mêmes.
Encouragé par la presse people et par l'instantanéité du net, ce nouveau culte de l'émotion semble gagner tous les domaines: les médias vendent moins de l'information que de l'émotion, les hommes politiques cherchent la phrase qui suscitera une adhésion affective, les entreprises et les agences de publicité partent à la quête de l'émotion positive adéquate, qu'ils mettront en avant pour mieux vendre leur produit. C'est ainsi que BMW se contente, dans sa dernière publicité, de jouer simplement sur "la joie".
Il ne faut pas pour autant tout réduire à l'émotion. Ce serait oublier que le consommateur actuel se décide à la fois à partir de critères émotionnels et d'arbitrages rationnels, comme nous l'avons vu au début de ce billet, et que tout le travail d'une analyse sérieuse consiste justement à bien saisir le réglage entre ces deux domaines. C'est ce que nous tentons de faire pour nos clients, ce qui sera plus que jamais nécessaire à la rentrée.
Notre institut prenant ses vacances entre le 12 Juillet et le 20 Août, il nous reste à vous souhaiter de bonnes vacances, ou une pèriode de travail plus calme si vous ne partez pas, en profitant de cette parenthèse annuelle pour recharger vos batteries et accumuler... plein d'émotions positives!
Christian Miquel
11:35 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : crise, méthodologie, enquêtes, sondages d'opinion, études de marché qualitatives, quantitatif, marketing, consumérisme, émotion, innovation, tendance, rigueur, sociologie
12 avril 2010
Florence Aubemas, Gunter Wall et les enquêtes par immersion
Nous finirons le panorama des techniques vidéo et ethnologiques commencé dans les blogs précédents en nous intéressant aux techniques d'immersion, brusquement revenues au goût du jour avec la publication récente de deux livres.
Florence Aubenas a été la première à remettre au goût du jour les techniques d'investigation par immersion, qui consistent à s'immerger dans le vécu des personnes qu'on souhaite comprendre, en partageant leur vécu et en se faisant employer pour réaliser le même travail qu'elles. C'est ainsi que, pendant six mois, elle est devenue femme de ménage sur les ferry à quai de Ouistreham, pour mieux comprendre la réalité du travail précaire de ces salariées qui gagnent à peine le Smic, en étant obligées d'enchaîner des employeurs différents pour s'en sortir. Son livre, "Le quai de Ouistreham", relate magnifiquement cette expérience, et représente l'un des succès de librairie inattendu de cette année.
Selon ses propres déclarations, elle suivait en cela l'exemple de Gunter Wallraff, son "maître" en la matière, qui fut le premier à changer radicalement d'identité et d'aspect physique pour mieux se fondre dans le rôle de ceux qu'il voulait observer. C'est ainsi qu'en 1985-1986, il se fit passer pour un travailleur turc et embaucher en tant que travailleur immigré, afin de mieux comprendre leur réalité. Il en sortit un livre qui fit sensation, "Tête de Turc", où il relate les problèmes que rencontre cette population immigrée.
Aujourd'hui, il réédite avec éclat son expérience en livrant, dans son dernier ouvrage "Parmi les perdants du meilleur des monde" (éd la Découverte), huit récits d'immersion réalisés en se mettant dans la peau de travailleurs précaires embauchés en cette période de crise chez Lidl, Starbuck café, un centre d'appel, une entreprise de gastronomie fine. Enquête passionnante, quoique souvent à la limite de la déontologie, comme lorsqu'il se présente à une société de conseil comme dirigeant d'une entreprise qui souhaite savoir comment se débarrassser des syndicats pour mieux valoriser et revendre plus cher entreprise. L'enquête n'est plus seulement à charge, on peut se demander si elle ne dérape pas alors dans des scénarios de manipulation dignes des excès de Michael Moore.
ll n'en demeure pas moins qu'il a l'avantage, tout comme Florence Aubenas, de remettre en avant la richesse des informations obtenues par la technique de l'immersion. Car c'est en se plongeant dans le vécu des personnes qu'on observe, en partageant ensemble une expérience commune, qu'on comprend mieux leur vécu, en obtenant le plus souvent des confidences et des réflexions qu'on ne retrouve pas après coup.
L'immersion représente en ce sens une technique d'entretien tout à fait utilisable en étude qualitative, même si "l'expérience d'immersion" est forcément plus courte lors d'une étude, en ne représentant qu'un moment ponctuel de la recherche, qui se clôturera la plupart du temps ensuite par un entretien individuel classique destiné à se dévoiler et à faire le point sur les enseignements de la démarche.
C'est ainsi que, déjà dans les années 1990, nous nous étions glissés plusieurs jours de suite dans la peau et les habits d'ouvriers d'un Parc d'attraction pour mieux comprendre leur vécu, leurs attentes et les problèmes d'encadrement. Nous nous sommes également "immergés" dans des groupes de voyageurs d'un Tour Operator pour vivre de l'intérieur leur circuit de découverte d'un pays en 7 jours, en notant tous les problèmes, les insatisfaction et le vécu des clients, auxquels on ne dévoila que le dernier jour notre rôle d'enquêteur, en profitant de l'attente dans l'aéroport de retour pour passer un questionnaire à plus de 100 personnes. Sans compter les "immersions ponctuelles" qui permettent, lors d'une étude, d'accompagner une personne pendant qu'elle fait ses courses, ou pendant qu'elle conduit son automobile....
Après cette présentation des méthodes à base d' ethnologie et de vidéo, nous reviendrons lors nos prochains billets aux techniques qualitatives traditionnelles telles que les entretiens individuels, pour tenter de repérer les conditions d'un bon ou d'un mauvais entretien individuel....
11:12 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : enquêtes, sondages d'opinion, entretiens, qualitatif, réunions, florence aubenas, crise, adetem, marketing, tendances, sociologie, ethnologie, comportement consommateurs